De l’idée au PMEit: Ufrost, ou inventer le micro-ondes du froid

Temps de lecture: 5 minutes
Texte et illustration de Juliane Choquette-Lelarge, collaboratrice spéciale

Portraits d’entrepreneur.e.s startup: de l’idée aux premières étapes de commercialisation, apprenez-en plus sur le parcours de ces entrepreneur.e.s exceptionnel.le.s ainsi que sur les acteurs de l’accompagnement québécois qui les ont aidés à pousser l’audace encore plus loin. Premier d’une longue série, découvrez l’histoire de Ufrost et de son fondateur Julien Michalk.

Illustration_Ufrost_PMEit_Juliane-Choquette-Lelarge
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« Des shots gelés: mais oui! ». L’idée vient de fuser. Par une nuit d’hiver glaciale, après avoir fermé son bar désert, Julien vient de trouver le filon de son nouveau projet.

Un concept novateur

C’est une vidéo trouvée au hasard des recommandations Youtube en 2013 qui met Julien Michalk, alors étudiant en génie à Polytechnique, sur la piste du froid instantané. Le titre est en alphabet cyrillique et l’image un peu brouillée révèle de grandes landes recouvertes de neige. Quelque part en Sibérie, aux côtés d’un thermomètre qui indique les -64 degrés, des hommes emmitouflés font une intéressante démonstration. lls sortent une bouteille de vodka, s’échangent quelques gorgées au goulot, puis l’approchent de la caméra: à l’intérieur, en quelques secondes, l’alcool a déjà commencé à geler. On donne un coup de marteau, on écarte les tessons et les voilà qui se régalent des morceaux de vodka congelés. Une bouteille de champagne; même exercice. Gros plan sur les glaçons dorés: les bulles sont intactes, encore prêtes à pétiller. Julien est bouche bée: « c’est ça qu’il nous faut ! ».

Un appel à son partner d’affaire: « ça existe-tu des congélateurs qui font ça? ». Semblerait que oui. Mais semblerait aussi que les congélateurs capables de geler de l’alcool sont « gros comme un appart » et coûtent dans les coquets millions. « Pourquoi tu l’inventes pas, ton congélateur de rêve? ». Le pari est lancé.

Même pour un ingénieur en devenir, inventer un tel objet tient plus de l’épreuve que de la petite marche dans la toundra. Sans expérience (il a coulé trois fois le cours de thermodynamique) mais plein de volonté, Julien s’attèle à la tâche. Lunettes de sécurité, sarrau, bonbonnes d’azotes puis de CO2 et, surtout, moyens du bord: les itérations s’accumulent et le produit prend doucement forme.

« Un micro-ondes mais pour le froid »

La première version du congélateur est créée. Baptisée Ufrost, elle est pensée pour les bars et les restaurants, et sert surtout à congeler de petites quantités d’alcool.
« Manger de l’alcool plutôt que le boire permet de mieux le savourer: on se débarrasse du goût très fort de l’alcool et on peut mieux profiter des différents arômes » explique Julien. Sa machine ouvre de nouvelles avenues pour les cocktails et l’exploration gastronomique. Mais Julien voit déjà plus loin.

Car la technologie qu’il vient de développer s’apparente à une petite révolution dans le monde du froid. À la manière du micro-ondes qui a démocratisé l’accès à la chaleur instantanée dans les années soixante, le prototype de Julien permet un accès presque immédiat à un niveau de froid qui n’était jusqu’alors accessible qu’avec un équipement industriel. Il faut dire qu’atteindre de telles températures pose un défi épineux à l’égard de la préservation des matières organiques. Entre 0 et -5 degrés, en effet, l’eau présente dans les tissus tend à former des cristaux coupants qui percent les cellules environnantes. Pour éviter que cela se produise, il faut que le gel soit vif et très rapide. Dans le domaine médical, où sont préservés des organes, des tissus et des fluides humains, la maîtrise de ce phénomène est cruciale. C’est tout un monde, de la préservation des aliments aux interventions médicales, que la machine de Julien a le potentiel de couvrir. Ne reste plus qu’à bien jouer ses cartes.

Une aventure entrepreneuriale

Bien qu’ingénieur de formation, Julien a toujours eu la fibre entrepreneuriale. L’idée de monter une startup à partir de son prototype s’impose tout de suite. Grâce à une première ronde de financement auprès de sa famille et amis, Julien fonde Ether Innovations avec sa cousine Claude-Marie Blanchard, formée en logistique et en administration des affaires. Visant d’abord le domaine des bars et de la restauration, les deux associés développent leur modèle d’affaires autour du service et de l’événementiel. Ils s’associent à des mixologues reconnus et organisent de larges événements pour différentes organisations (Evenko, Château Frontenac, etc.). Mais Julien, toujours habité par ses grandes ambitions, veut pousser son entreprise vers de nouveaux horizons. Et les occasions ne manquent pas.

En 2018, Ether Innovations est accepté au sein du programme Adopte Inc., un concours entrepreneurial à l’échelle du Québec qui a pour objectif d’accompagner le démarrage d’entreprises de la relève. Une subvention de 24 000$, un mentorat soutenu de la part d’un entrepreneur établi (nul autre que Jean-Martin Aussant dans le cas de Julien) et un point tournant: « ça a vraiment changé la donne – sans ça, y’aurait peut-être pas de compagnie aujourd’hui ».

Puis, une autre aventure marquante avec le Centech, un accélérateur attaché à l’École de technologie et de gestion (ETS). Un mentorat logistique qui arrive à point nommé: « Dans le monde startup, il faut apprendre les règles du jeu. Malheureusement, ce n’est pas parce que tu as une bonne idée que les choses vont se placer toutes seules, que les gens vont venir vers toi. Il faut savoir comment ça se joue, cet univers-là ».

Un tournant décisif: le PMEit

Finalement, en 2019, Ether Innovations s’associe au service d’accompagnement PMEit grâce au soutien de La Piscine. Ce projet est mis en place par MAIN en collaboration avec des accélérateurs de partout au Québec pour venir en aide aux entrepreneur.e.s en phase de commercialisation. « Ça a été l’expérience la plus utile qu’on a eue » déclare d’emblée Julien. 65 000$ en valeur de services d’accompagnement, un parcours construit sur mesure et une approche « no bullshit »: Julien décrit son expérience PMEit, avec MAIN et La Piscine, comme un service taillé sur mesure pour les besoins de son entreprise.

« Avec le PMEit, j’ai pu être suivi par des avocats en droit commercial, mettre sur papier un plan d’affaires concret et être accompagné au moment où Ether Innovations passait à travers la fameuse vallée de la mort. »

La vallée de la mort? Ce moment critique, où les nouvelles startups sont suffisamment développées pour voler de leurs propres ailes, mais pas encore assez établies pour générer assez de revenus pour être rentables, est un véritable écueil pour bon nombre d’entreprises. « Le PMEit est bâti pour nous aider à faire face à cette étape, et ce de manière complètement personnalisée. Sans ce service, je ne sais pas si on serait passés à travers, particulièrement avec la crise du COVID qui s’est rajoutée à tout ça ».

Aujourd’hui, malgré l’incertitude sociale et économique qui plane, Julien se dit « 100 % confiant » face à l’avenir. Il a une vision claire de la suite et de comment il planifie la relance. « En fait, on est encore plus confiants qu’avant la crise – et ça tient beaucoup au PMEit ».

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